Il y a longtemps, je me suis inscrit,
par hasard, à un stage d'été pour apprendre à… tailler dans la
pierre ! J'ai dit au professeur, qui s’appelait Germaine, que je
dessinais depuis toujours, mais que je n’ai jamais fait de la
sculpture sur pierre. « Pas de problème, nous sommes tous des
amateurs ! », m’a-t-elle répondu.
La veille du premier cour (qui se
passait dans une ferme en pleine campagne), nous nous promenions au
bord d’un ruisseau. J’ai vu de très jolis cailloux et en
ramassais quelques-uns, pour les ramener à Paris. Germaine dit : «
An, c’est magnifique un caillou! Pourquoi n’essaies-tu pas d’en
sculpter un ? ». J’ai souri, pensant à une plaisanterie.
Le lendemain, en distribuant les
thèmes, Germaine déclara devant tout le groupe :« An a
souhaité sculpter un caillou. Je suis d’accord. An, tu commences
par faire un petit modèle en terre chamottée. Après on taillera
dans la pierre, pour de vrai !».
J'étais franchement vexé, mais ne
pouvais pas faire autrement. J’allais dans un coin du jardin, avec
tout le matériel, et un très beau caillou, et commençais mon
travail.
Ce n’est qu'au bout d’une
demie-heure que j'ai compris. Les choses n'étaient pas si simples.
J’ai beau tourner ma sculpture dans tous les sens, j’ai beau
tassé, raclé, lissé, caressé, lavé, vaporisé, ma sculpture
restait obstinément un tas de terre informe, sans vie. Elle n’avait
rien d’un caillou ! Je me suis arrêté, je regardais longtemps le
caillou, fasciné, incapable de faire le moindre geste.
C’est alors que Germaine vint vers
moi, avec une tasse de thé qu’elle m’offrait. Et elle me dit:
« An est très intelligent. Il a bien
compris la leçon. Regarde le caillou ! C’est une œuvre de la
nature, œuvre de l’eau, des vagues, du vent, du sable, du soleil
et de la lune. Au début, il n’était qu’une masse grossière et
laide. Mais le courant du ruisseau l’a tourné, retourné, lavé,
caressé, taillé, poli. Le soleil l’a éduqué aux jours torrides,
l’eau l’a éprouvé aux nuits glaciales. Tout en lui a abouti à
cet état parfait que tu as devant les yeux. Tourne-le, touche-le,
regarde-le, de face, de profil. Suis les dessins de ses veines,
suis-les dans les trois dimensions. Sa forme est pleine, ses profils
sont harmonieux. Il n’y a aucune cassure. Goûte les couleurs :
les tons sont adoucis, ils se sont mariés. C’est la perfection de
la perfection. Il est là quand tu n’es pas encore né, il sera
encore là quand tu seras parti dans d'autres mondes. An, comment
veux-tu, en quelques heures, en quelques jours, refaire l’oeuvre
des millénaires de la Nature ? »
Je n’ai pas continué mon caillou. Je
n’ai jamais oublié sa leçon.
Voici, trouvé sur la toile, une oeuvre
du célèbre sculpteur Constantin Brancusi. Son titre est "Sculpture
pour les aveugles" ! Sculpture pour les aveugles, c'est un titre
terrible, presque cruel, quand on y réfléchit ! Brancusi était un merveilleux artiste, incompris par ses contemporains.
cruel et beau à la fois ce titre
RépondreSupprimerles sculpture de Brancusi appellent inévitablement la main, il faut résister pour ne pas les caresser
Il y a à Paris un musée dédié à Brancusi. En fait, pas très visité !
SupprimerQuelle belle leçon touchante... Bizarre comme titre mais fermer les yeux et la toucher, ressentir les énergies de cette pierre, ce doit être merveilleux! Bisou, bon mercredi dans la joie et la tendresse!
RépondreSupprimerJ'ai plusieurs cailloux sur mon bureau. Très doux au toucher, aussi très doux à regarder ! Bonne soirée à toi!
Supprimerc'est très sympa de partager ça avec nous car c'est vraiment toute la notion de création que tu nous narres...merci
RépondreSupprimerRéussir une photo est une vraie création, vu qu'on met tout son coeur... et toute sa tête dedans !
SupprimerTu aurais peut-être du continuer encore et encore et qui sait tu aurais peut-être trouvé la Pierre des alchimistes.
RépondreSupprimeroui, après un long chemin, le L'ai trouvée, cette Pierre, et j'ai entendu la voix toute étonnée d'Ariaga qui m'appelait: "Mais, Binh An, que fais-tu là ?"
SupprimerTrès belle leçon de vie, de modestie. La nature nous offre des merveilles et parfois nous pensons pouvoir faire aussi bien si ce n'est mieux en un rien de temps : Grossière erreur. Je pense que comme toi, j'aurais retenu la leçon de Germaine, en revanche comme disait Boileau "20 fois sur le métier j'aurais remis mon ouvrage" jusqu'à atteindre mon but.
RépondreSupprimerGertrude Stein, qui a acheté de nombreux tableaux de Picasso, a accepté de poser pour un portrait. Picasso a répété 18 fois avant d'être content!
SupprimerAmitiés,
An
Une belle leçon de patience. Peut-on jamais faire mieux que la nature?
RépondreSupprimerEt Brancusi, un tout grand maître.
Je te recopie ceci d'un livre que j'ai sur lui (pardon, c'est un peu long mais je ne veux pas le couper):
" C'est en taillant la pierre que l'on découvre l'esprit de la matière, sa propre mesure. La main pense et unit la pensée à la matière. C'est l'acte même du sculpteur face à un matériau dont la connaissance ne s'apprend que lentement, et réserve toujours un inattendu qu'il faudra résoudre sans pouvoir jamais rien ajouter, par seul retranchement. Il faut tailler et non blesser la pierre, trouver la solution devant l'apparition d'une veine ou d'une tache non prévue : il faut savoir lutter avec la pierre, la caresser, la polir, savoir avec angoisse comme avec joie, faire surgir la forme que l'on porte en soi, mais qu'elle peut aussi nous avoir inspiré selon sa texture, la forme même du bloc que l'on a choisi ou trouvé. »
C'est absolument passionnant ce texte! Je vais le copier sur mon carnet perso. Merci beaucoup, Colo !
Supprimer(cet été là, je suis resté avec le groupe et j'ai dû taper plus d'un million de fois sur un gros morceau de pierre (3 tonnes!) pour réaliser ma sculpture !)
Merci An pour cet article, cette belle expérience
RépondreSupprimerj'aime caresser les cailloux, les galets, du regard, des mains du pinceau....
http://jama.e-monsite.com/pages/mes-pages-de-septembre/dans-le-creux-de-ma-main.html
http://jama.e-monsite.com/pages/des-galets/galet.html
J'aime beaucoup tes deux poèmes, et aussi les comms de tes visiteurs. Je les relirai demain. Bonne nuit, Jamadrou.
SupprimerLes cailloux ont une grande force symbolique. C'est pourquoi, pour sentir leur contact, j'en ramasse toujours quelques uns que je remets ensuite en liberté. Parfois quand même, j'en garde un que je ramène chez moi.
RépondreSupprimerTon histoire est magnifique. On dirait un conte chinois.
¸¸.•*¨*• ☆
...les remettre en liberté ? Ah, quel geste symbolique tu me dis. Il faut que j'y réfléchisse! Les bouddhistes achètent les oiseaux ou des poissons et les libèrent.
Supprimerc'est tout l'art de l'art que de reproduire en un temps ce que la nature a pris le temps de créer ...
RépondreSupprimeramitié .
y arrive t-on jamais, Marie-Claude ?
SupprimerAmitié,
An
Ne pas passer à côté de cette belle "leçon " de sagesse.
RépondreSupprimerTant d'oeuvres d'art éphémères ou pérennes que la nature sait nous offrir !
J'ai toujours une pierre, un galet dans ma poche,comme un contact permanent avec la terre.
Merci An, pour ton témoignage
Grande leçon de modestie, Balaline !
SupprimerIl faut s'inspirer de la Nature et non essayer de la copier. Moi aussi, j'ai des galets sur mon bureau! Très Zen! Bonne journée!
il faut se contenter de les caresser... photodilettante
RépondreSupprimerBonjour Dilettante, j'ai traversé les grillages chez vous et je suis du côte du ciel bleu, peut être je peux y trouver des cailloux...
SupprimerMa fille un jour a trouvé un tout petit caillou, pas très joli, un peu de guingois, des angles, des arrondis, des saillies, un blanc de craie sale... Dessus, quelqu'un avait écrit: "ceci n'est plus un caillou ordinaire". Depuis, il nous a suivi partout, au gré de nos déménagements. Il est toujours là, à côté de moi...
RépondreSupprimerBaladine, C'est délicieux, non, chacun a son petit caillou! C'est une découverte pour moi....
SupprimerJ'ai toujours un caillou, souvenir d'un voyage lointain, dans ma poche.
RépondreSupprimerHello FRANK,
SupprimerUn caillou dans la poche ! Voilà quelqu'un de bien ! :-)
Bonne soirée,
An
Peut-être qu'à première vue le titre "sculpture pour les aveugles" peut sembler cruel, mais au toucher, c'est un régal. L'aveugle verra de ses mains ce que toi tu as vu au prix de tous ces efforts pour rendre ce caillou plus parfait qu'il n'était. L'aveugle voit d'autres choses, et perçoit autrement.
RépondreSupprimerBel article que celui-ci!
Oh non, Edmée, j'ai compris autrement: cette définition s'adresse, à mon avis, aux spectateurs, qui ont des yeux ouverts, mais qui ne savent pas regarder une sculpture! Brancusi a été très mal compris de ses contemporains et il en souffre. Une de ses oeuvres, baptisée "le coq" a été arrêtée par la douane au port de New York, persuadée que c'était du métal précieux en contrebande.
SupprimerSculpture d'univers
RépondreSupprimerLe caillou c'est fait
Un
PS : connais tu le caillou lune ?
http://parler-en-silence.eklablog.com/reflet-de-lune-a76016051
Je suis allé voir, mais j'ai le sentiment d'entrer dans un monde intemporelle, avec cette lune-caillou de couleur un peu étrange, et je me suis retiré doucement sans laisser de commentaire. Je reviendrai.
SupprimerUne merveilleuse leçon en effet... mais ta sculpture pour les aveugles me touche aux larmes, car comment mieux capter les récepteurs sensoriels qu'en évoquant leur nécessité ? En voyant ce caillou et en s'imaginant aveugle, immédiatement on en sent toute la douceur, toute la rondeur voluptueusement au creux des mains... Et c'est cela la vie du sculpteur : c'est la sensation de la matière au creux de ses mains. La vocation de sculpteur est une vocation d'aveugle, il a ses yeux dans ses mains. Nous vivons trop avec nos yeux. Nous devons apprendre à vivre aussi avec nos autres organes sensoriels.
RépondreSupprimerTon comm me touche profondément. Merci Aloysia! Mais, comme j'ai dit à Edmée, j'ai encore une autre compréhension: le titre de Brancusi peut s'adresser, aussi, aux spectateurs, qui ont des yeux ouverts, mais qui ne savent pas regarder une sculpture! Brancusi a été très mal compris par ses contemporains et il en souffre. Une de ses oeuvres, baptisée "le coq" a été arrêtée par la douane au port de New York, persuadée que c'était du métal précieux en contrebande.
RépondreSupprimerj'aime ramasser les cailloux sur la plage, les cailloux troués pour en faire des bidules, les cailloux pleins de toutes sortes pour les déposer ici et là , pour les semer sur mon chemin, pour les toucher, les regarder , les admirer...des petits trésors de la nature !
RépondreSupprimerMerci An pour ce partage.
bonne soirée
Anda,merc! Je suis surpris et enchanté de savoir que mes visiteurs ont chacun une histoire personnelle de caillou !
SupprimerChaque galet a une histoire... La nature est un livre ouvert qui se déchiffre au rythme de l’intérêt que nous lui portons.
RépondreSupprimerAh, ABC-haiku ! Oui, chaque galet a une histoire, et ... chacun de nous a une histoire de caillou...
SupprimerBonne journée à toi !
Quelle belle leçon de vie au travers ce caillou, j'ai adoré ton texte.
RépondreSupprimerMerci, Mireille ! Et si l'on colorie le caillou ? ou dessine dessus ?
SupprimerUne bien belle leçon qui me va droit au cœur. Merci pour le partage !
RépondreSupprimerMerci Nanegrub. J'aime beaucoup votre pseudo. Qui évoque pour moi un bouquet de fleurs.
SupprimerVoilà, une nette différence entre le naturel et l'artificiel...
RépondreSupprimerBonne soirée !
Tahar
Ce sont deux mondes. Peut être faut il voir les choses comme cela. Bonne journée à vous.
SupprimerMoi aussi j'ai plein de cailloux... Un précieux préhistorique, et d'autres précieux simplement jolis. Et puis plein de coquillages aussi...
RépondreSupprimerCaillou préhistorique ? Je vais écrire un article pour toi sur ce thème.
SupprimerQue dis tu des coquillages ou cailloux dans la main d'un modèle ? Un caillou en soi est un nu parfait ! Là, la recherche de lumière est extrême !
Amitié,
An