lundi 27 février 2017

LE PATIENT HONGKONGAIS

En fin février 2003, un américain d'origine chinoise venait se faire soigner à l'hôpital Việt-Pháp (Vietnam-France) avec un diagnostic de fièvre, toux et syndromes grippaux. Il s'est avéré qu'il était atteint du SARS (syndrome respiratoire aigu sévère). Le virus, apparu à Hongkong en 2002, est vite passé au personnel médical de l'hôpital, causant plusieurs décès. Une épidémie locale s'est développée, heureusement vite maîtrisée. Au Vietnam, 65 personnes étaient infectées, 5 étaient mortes. L'épidémie était aussi propagée dans d'autres pays. Au total, dans le monde, 8346 cas étaient recensés avec 646 décès.

Le texte ci-dessous était écrit par une infirmière, Mên, qui soignait le « patient Hongkongais ». J'étais si ému quand je lisais le texte, que je me suis promis de le traduire en français et de publier en France pour mes amis ici. En fait je n'ai rien fait depuis. Entre temps, quelqu'un a traduit le texte en français.

Aujourd'hui, au 14è anniversaire de cet événement tragique, je vous soumets le texte traduit.

COMMENT J 'AI VAINCU LE SARS ?

Le 26 Février, un américain d’origine chinoise, que nous appelions plus tard ‘le malade Hongkongais’, était admis à l’hôpital Việt-Pháp  (Vietnam-France) avec un diagnostic de fièvre, toux et syndromes grippaux. Le destin a voulu que ce fut le jour de garde de nous quatre, le Dr Quỳ, les infirmières Lương, Uyên, et moi. Les cas de fièvre et toux n’étaient pas rares à l’hôpital, aucun de nous n’avions pensé à porter un masque. Nous n’étions loin de douter que c’était le signe du premier acte d’une tragédie mortelle : le SARS.
Lương et Uyên s’occupaient du malade. A la différence des autres cas de fièvre et de toux, celui-ci était très fatigué, il crachait abondamment et n’arrêtait pas de sonner pour demander de l’aide. Lương et Uyên racontaient plus tard qu’il fallait souvent lui taper dans le dos pour l’aider à cracher, parfois pendant 10 à 15 minutes. Mon travail à moi était en fait de préparer les biberons aux nouveaux-nés, mais quand ça sonnait, et que Lương et Uyên étaient occupées, je venais toujours en aide. Les jours suivants, l’état du Hongkongais se détériorait à vive allure, et il devait respirer avec un appareil. C’était à ce moment là seulement que nous pensions qu’un cas de toux aussi grave pouvait être contagieux, et nous appelions alors tout le monde à porter des masques en salle de soin.

Le 2 Mars, Lương commença à attraper une fièvre. Elle avait froid, puis la température monta. Pas beaucoup au début. Uyên et moi n’avions rien et continuions à travailler normalement.

Le 3 Mars, je commençais à frissonner. J’étais fatiguée, j’avais mal à la tête, mais je n’avais pas de fièvre. Comme beaucoup de femmes étaient venues accoucher à l’hôpital, je pensais que ma fatigue était logique et continuais à aller au travail.

Le 4 Mars. J’étais épuisée, ne pouvant même plus marcher, et je commençais une diarrhée.

Le 5 Mars, j’avais des crises de fièvre, mais je pensais qu’avec la diarrhée, la fièvre et la fatigue s’expliquaient. Le soir, une prise de température donnait 38°. Je rentrai à l’hôpital et fus immédiatement examinée : on découvrit que j’étais contaminée ! Je n’étais pas vraiment paniquée. Ma seule crainte était que le malade Hongkongais, grand et fort, devait quand même respirer avec un appareil, alors, avec ma petite taille, comment pouvais-je tenir le coup ?

Apprenant que j’étais hospitalisée, mon mari apporta des vêtements et des fruits. Il fut arrêté net au seuil du couloir. Je le regardais de loin, le cœur rempli d’une tristesse infinie. Je priais pour être la seule atteinte, et que mon mari et mes enfants soient indemnes. C’est seulement après que j’appris que dans la période d’incubation, le malade commence toujours à attraper froid, puis une fièvre, avec une grande fatigue. A ce stade, il n’est pas contagieux. La preuve est que toute ma famille était indemne. En revanche, la contagion est très forte quand le malade tousse, crache, a du mal à respirer, et tombe dans le coma.

Depuis mon hospitalisation, tous mes collègues commencèrent une bataille sans merci avec la mort qui me tenait. Je le savais, et en silence, je souffrais et je luttais. Impossible de décrire toute cette souffrance quand la fièvre vous martyrise, le ventre est comme haché par mille couteaux, la tête s’éclate, chaque muscle tiraillé dans toutes les directions. Comme une loi immuable : à une crise de froid, succède une crise de chaleur, ceci trois quatre fois par jour, et de longues crises dans la nuit. Uyên était là aussi, nous partagions la même chambre. Uyên commença sa fièvre avant moi, mais elle était plus forte. Après chaque crise, elle allait se doucher elle-même. Puis, elle se brossait les cheveux en une grande boule, téléphonait et riait comme une souris. Elle parlait de tout, de son beau-père qui fit une chute à la maison et avait une jambe cassée, et elle était là, sans pouvoir s’occuper de lui…

Tous les jours, j’avais une radio et une prise de sang. La photo du poumon pâlit de jour en jour. Les preuves de destruction de mes cellules s’accumulèrent vertigineusement. Je me sais gravement atteinte. La souffrance et la difficulté de respirer s’amplifièrent, la tête comme profondément plongée dans l’eau. En plus la diarrhée continuait. Mes règles depuis 5 jours ne s’arrêtaient pas. C’était la lutte finale !

Le 10 Mars, j’avais 42 de fièvre et tombai dans le coma.

Le 15 Mars, Lương nous quitta. Elle était la première, vaincue par le SARS.

Le 19 Mars, le docteur Derossier s’en alla.

Le 20 Mars, ce fut le tour de Phương et de Uyên…

Et puis arriva un jour, je me réveillait, doucement, dans le vague (j’apprenais après que c’était le 23, j’étais dans le coma depuis presque 15 jours). C’était sans doute la nuit. Dehors, le ciel était noir. Autour de moi, un étrange silence. Je fermais les yeux me demandant où j’étais, et ce que je faisais là. Et tout d’un coup, j’entendis un bruit de pas et une main me tapota doucement le bras. J’ouvris les yeux. Quelqu’un a poussé un hurlement. « Oh, oh, Mên. Elle s’est réveillée! Un effort, Mên ! Mên ! ». J’entendais des bruits de pas. Je tendais mes bras. Tout autour, que de câbles et de fils de toutes sortes. J’essayais de me dégager et retomba dans le coma.

Et puis les choses revenaient, lentement, en douceur. J’essayais petit à petit de reconnaître la vie autour de moi. Mes amis, je ne les reconnais pas tous. Ils sont couverts de masques, de lunettes de toutes sortes. Tout le monde m’appelle. « Encore un effort, Mên, et tu retrouveras ton mari et tes enfants ! » Je ne pouvais pas parler, mais au plus profond de moi-même, je me disais : « Oui, oui, je ferai encore des efforts, merci, merci !»

Les médecins français commencèrent à m’apprendre à respirer, les infirmières me massaient sur tout le corps, m’aidaient à relever le bras, la jambe. J’avais encore très mal, j’étais fatiguée et je ne demandais qu’à être tranquille…

(traduit du journal « Tuổi Trẻ »)

20 commentaires:

  1. C'est un témoignage bouleversant. Je n'ai pas de mots qui me viennent, là tout soudain. Juste écrire que lutter et croire que le salut existe permet de s'en approcher. Bonne et douce nuit.

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    1. Elle n'a jamais donné l'impression d'être désespérée, et puis aux pires moments, elle pense toujours aux autres, c'est formidable !

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  2. Une histoire terriblement émouvante... Si fragile, la vie...

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    1. Oui, la vie est finalement bien fragile, et elle est d'autant précieuse !

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  3. Ce qui me reste de ce témoignage poignant, c'est le ressort de vie inépuisable, qui existe chez certains plus que chez d'autres...

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  4. J'ai des larmes dans les yeux, quelle épreuve ! Est-ce dans l'amour qui s'est développé et qui a grandi autour d'elle qu'elle a trouvé les forces pour se réveiller ? C'est bouleversant et vivifiant en même temps, merci An de partager ce texte... Belle journée à toi. brigitte

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    1. On voit qu'elle a un grand coeur, et on a l'impression qu'elle est aimée des autres, famille et collègues,...

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  5. Merci pour avoir pris de temps de traduire ce document si triste et fort... Elle a eu de la chance, elle... et sa famille aussi. Quelle horreur que de voir ses proches décimés ainsi....

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    1. Oui, elle a eu de la chance. Mais, quelque part en nous, nous pensons qu'elle la mérite bien, cette chance. On ne voit pas l'ombre d'une plainte ou d'un reproche, mais toujours le sens des autres (j'ai fait une traduction, mais cette version est celle qu'on m'a envoyée, car j'ai l'impression que la personne qui a traduit le texte est plus proche de Mên que moi, j'ai corrigé quelques fautes de frappe ou d'orthographe, remanié quelques phrases pour plus de clarté)

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  6. Quel témoignage bouleversant tu nous offres ici, Binh An !... Se laisser partir, mourir, sans angoisse, sans s'arrêter à ses souffrances, presque avec le sourire... puis renaître, avec cet émerveillement du premier jour, comme un enfant qui vient au monde ! Une belle, vraiment belle histoire...

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    1. c'est son calme qui est absolument admirable, savons nous garder un tel calme dans les durs moments de notre vie ?

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  7. Vraiment émouvant ce récit; on dépend tant des autres, de leur savoir et compassion, de leur dévouement dans ces circonstances.
    Nos vies si fragiles mais certains corps si forts aussi.
    Sourire à la vie, aux autres surtout, ce qu'elle fait.

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    1. une leçon pour nous, vraiment, Colo !
      Bonne soirée à toi !

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  8. Bonjour Binh An,

    Quel témoignage! j'en ai les yeux humides. Que de souffrance et de courage! que de généroité également. Un exemple que ce petit bout de femme!
    merci Binh An

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    1. Comment vas tu ? Et tes expos ?
      C'est vrai que le message de la femme nous entraîne à relativiser bien des choses...J'ai gardé ce texte depuis.. 2003 !

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  9. On nous en cache des choses, on les passe sous silence...

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    1. Merci de votre visite. Que dire !
      J'aime beaucoup vos collages!

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  10. Un récit plein d'émotion et très intéressant. Quel courage a eu cette femme.
    merci de ce partage
    chatou

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    1. Oui, beaucoup de courage, Chatou !
      Merci de la visite !
      De mon côté, merci pour les voyages chez vous !

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