En fin février 2003, un américain
d'origine chinoise venait se faire soigner à l'hôpital Việt-Pháp
(Vietnam-France) avec un diagnostic de fièvre, toux et syndromes
grippaux. Il s'est avéré qu'il était atteint du SARS (syndrome
respiratoire aigu sévère). Le virus, apparu à Hongkong en 2002,
est vite passé au personnel médical de l'hôpital, causant
plusieurs décès. Une épidémie locale s'est développée,
heureusement vite maîtrisée. Au Vietnam, 65 personnes étaient
infectées, 5 étaient mortes. L'épidémie était aussi propagée
dans d'autres pays. Au total, dans le monde, 8346 cas étaient
recensés avec 646 décès.
Le texte ci-dessous était écrit par
une infirmière, Mên, qui soignait le « patient Hongkongais ».
J'étais si ému quand je lisais le texte, que je me suis promis de
le traduire en français et de publier en France pour mes amis ici.
En fait je n'ai rien fait depuis. Entre temps, quelqu'un a traduit le
texte en français.
Aujourd'hui, au 14è anniversaire de
cet événement tragique, je vous soumets le texte traduit.
COMMENT J 'AI VAINCU LE SARS ?
Le 26 Février, un américain d’origine
chinoise, que nous appelions plus tard ‘le malade Hongkongais’, était admis à l’hôpital Việt-Pháp (Vietnam-France) avec un
diagnostic de fièvre, toux et syndromes grippaux. Le destin a voulu
que ce fut le jour de garde de nous quatre, le Dr Quỳ, les
infirmières Lương, Uyên, et moi. Les cas de fièvre et toux
n’étaient pas rares à l’hôpital, aucun de nous n’avions
pensé à porter un masque. Nous n’étions loin de douter que
c’était le signe du premier acte d’une tragédie mortelle :
le SARS.
Lương et Uyên s’occupaient du malade.
A la différence des autres cas de fièvre et de toux, celui-ci était
très fatigué, il crachait abondamment et n’arrêtait pas de
sonner pour demander de l’aide. Lương et Uyên racontaient plus tard
qu’il fallait souvent lui taper dans le dos pour l’aider à
cracher, parfois pendant 10 à 15 minutes. Mon travail à moi était
en fait de préparer les biberons aux nouveaux-nés, mais quand ça
sonnait, et que Lương et Uyên étaient occupées, je venais toujours
en aide. Les jours suivants, l’état du Hongkongais se détériorait
à vive allure, et il devait respirer avec un appareil. C’était à
ce moment là seulement que nous pensions qu’un cas de toux aussi
grave pouvait être contagieux, et nous appelions alors tout le monde
à porter des masques en salle de soin.
Le 2 Mars, Lương commença à attraper
une fièvre. Elle avait froid, puis la température monta. Pas
beaucoup au début. Uyên et moi n’avions rien et continuions à
travailler normalement.
Le 3 Mars, je commençais à
frissonner. J’étais fatiguée, j’avais mal à la tête, mais je
n’avais pas de fièvre. Comme beaucoup de femmes étaient venues
accoucher à l’hôpital, je pensais que ma fatigue était logique
et continuais à aller au travail.
Le 4 Mars. J’étais épuisée, ne
pouvant même plus marcher, et je commençais une diarrhée.
Le 5 Mars, j’avais des crises de
fièvre, mais je pensais qu’avec la diarrhée, la fièvre et la
fatigue s’expliquaient. Le soir, une prise de température donnait
38°. Je rentrai à l’hôpital et fus immédiatement examinée :
on découvrit que j’étais contaminée ! Je n’étais pas
vraiment paniquée. Ma seule crainte était que le malade
Hongkongais, grand et fort, devait quand même respirer avec un
appareil, alors, avec ma petite taille, comment pouvais-je tenir le
coup ?
Apprenant que j’étais hospitalisée,
mon mari apporta des vêtements et des fruits. Il fut arrêté net au seuil
du couloir. Je le regardais de loin, le cœur rempli d’une
tristesse infinie. Je priais pour être la seule atteinte, et que mon
mari et mes enfants soient indemnes. C’est seulement après que
j’appris que dans la période d’incubation, le malade commence
toujours à attraper froid, puis une fièvre, avec une grande
fatigue. A ce stade, il n’est pas contagieux. La preuve est que
toute ma famille était indemne. En revanche, la contagion est très
forte quand le malade tousse, crache, a du mal à respirer, et tombe
dans le coma.
Depuis mon hospitalisation, tous mes
collègues commencèrent une bataille sans merci avec la mort qui me
tenait. Je le savais, et en silence, je souffrais et je luttais.
Impossible de décrire toute cette souffrance quand la fièvre vous
martyrise, le ventre est comme haché par mille couteaux, la tête
s’éclate, chaque muscle tiraillé dans toutes les directions.
Comme une loi immuable : à une crise de froid, succède une
crise de chaleur, ceci trois quatre fois par jour, et de longues
crises dans la nuit. Uyên était là aussi, nous partagions la même
chambre. Uyên commença sa fièvre avant moi, mais elle était plus
forte. Après chaque crise, elle allait se doucher elle-même. Puis,
elle se brossait les cheveux en une grande boule, téléphonait et
riait comme une souris. Elle parlait de tout, de son beau-père qui
fit une chute à la maison et avait une jambe cassée, et elle était
là, sans pouvoir s’occuper de lui…
Tous les jours, j’avais une radio et
une prise de sang. La photo du poumon pâlit de jour en jour. Les
preuves de destruction de mes cellules s’accumulèrent
vertigineusement. Je me sais gravement atteinte. La souffrance et la
difficulté de respirer s’amplifièrent, la tête comme
profondément plongée dans l’eau. En plus la diarrhée continuait.
Mes règles depuis 5 jours ne s’arrêtaient pas. C’était la lutte
finale !
Le 10 Mars, j’avais 42 de fièvre et
tombai dans le coma.
Le 15 Mars, Lương nous quitta. Elle
était la première, vaincue par le SARS.
Le 19 Mars, le docteur Derossier s’en
alla.
Le 20 Mars, ce fut le tour de Phương et
de Uyên…
Et puis arriva un jour, je me
réveillait, doucement, dans le vague (j’apprenais après que
c’était le 23, j’étais dans le coma depuis presque 15 jours).
C’était sans doute la nuit. Dehors, le ciel était noir. Autour de
moi, un étrange silence. Je fermais les yeux me demandant où
j’étais, et ce que je faisais là. Et tout d’un coup, j’entendis
un bruit de pas et une main me tapota doucement le bras. J’ouvris
les yeux. Quelqu’un a poussé un hurlement. « Oh, oh, Mên.
Elle s’est réveillée! Un effort, Mên ! Mên ! ».
J’entendais des bruits de pas. Je tendais mes bras. Tout autour,
que de câbles et de fils de toutes sortes. J’essayais de me dégager
et retomba dans le coma.
Et puis les choses revenaient,
lentement, en douceur. J’essayais petit à petit de reconnaître la
vie autour de moi. Mes amis, je ne les reconnais pas tous. Ils sont
couverts de masques, de lunettes de toutes sortes. Tout le monde
m’appelle. « Encore un effort, Mên, et tu retrouveras ton
mari et tes enfants ! » Je ne pouvais pas parler, mais au
plus profond de moi-même, je me disais : « Oui, oui, je
ferai encore des efforts, merci, merci !»
Les médecins français commencèrent à
m’apprendre à respirer, les infirmières me massaient sur tout le
corps, m’aidaient à relever le bras, la jambe. J’avais encore
très mal, j’étais fatiguée et je ne demandais qu’à être
tranquille…
(traduit du journal « Tuổi
Trẻ »)
C'est un témoignage bouleversant. Je n'ai pas de mots qui me viennent, là tout soudain. Juste écrire que lutter et croire que le salut existe permet de s'en approcher. Bonne et douce nuit.
RépondreSupprimerElle n'a jamais donné l'impression d'être désespérée, et puis aux pires moments, elle pense toujours aux autres, c'est formidable !
SupprimerUne histoire terriblement émouvante... Si fragile, la vie...
RépondreSupprimerOui, la vie est finalement bien fragile, et elle est d'autant précieuse !
SupprimerCe qui me reste de ce témoignage poignant, c'est le ressort de vie inépuisable, qui existe chez certains plus que chez d'autres...
RépondreSupprimerCultivons la foi pour nous! La foi est importante !
SupprimerJ'ai des larmes dans les yeux, quelle épreuve ! Est-ce dans l'amour qui s'est développé et qui a grandi autour d'elle qu'elle a trouvé les forces pour se réveiller ? C'est bouleversant et vivifiant en même temps, merci An de partager ce texte... Belle journée à toi. brigitte
RépondreSupprimerOn voit qu'elle a un grand coeur, et on a l'impression qu'elle est aimée des autres, famille et collègues,...
SupprimerMerci pour avoir pris de temps de traduire ce document si triste et fort... Elle a eu de la chance, elle... et sa famille aussi. Quelle horreur que de voir ses proches décimés ainsi....
RépondreSupprimerOui, elle a eu de la chance. Mais, quelque part en nous, nous pensons qu'elle la mérite bien, cette chance. On ne voit pas l'ombre d'une plainte ou d'un reproche, mais toujours le sens des autres (j'ai fait une traduction, mais cette version est celle qu'on m'a envoyée, car j'ai l'impression que la personne qui a traduit le texte est plus proche de Mên que moi, j'ai corrigé quelques fautes de frappe ou d'orthographe, remanié quelques phrases pour plus de clarté)
SupprimerQuel témoignage bouleversant tu nous offres ici, Binh An !... Se laisser partir, mourir, sans angoisse, sans s'arrêter à ses souffrances, presque avec le sourire... puis renaître, avec cet émerveillement du premier jour, comme un enfant qui vient au monde ! Une belle, vraiment belle histoire...
RépondreSupprimerc'est son calme qui est absolument admirable, savons nous garder un tel calme dans les durs moments de notre vie ?
SupprimerVraiment émouvant ce récit; on dépend tant des autres, de leur savoir et compassion, de leur dévouement dans ces circonstances.
RépondreSupprimerNos vies si fragiles mais certains corps si forts aussi.
Sourire à la vie, aux autres surtout, ce qu'elle fait.
une leçon pour nous, vraiment, Colo !
SupprimerBonne soirée à toi !
Bonjour Binh An,
RépondreSupprimerQuel témoignage! j'en ai les yeux humides. Que de souffrance et de courage! que de généroité également. Un exemple que ce petit bout de femme!
merci Binh An
Comment vas tu ? Et tes expos ?
SupprimerC'est vrai que le message de la femme nous entraîne à relativiser bien des choses...J'ai gardé ce texte depuis.. 2003 !
On nous en cache des choses, on les passe sous silence...
RépondreSupprimerMerci de votre visite. Que dire !
SupprimerJ'aime beaucoup vos collages!
Un récit plein d'émotion et très intéressant. Quel courage a eu cette femme.
RépondreSupprimermerci de ce partage
chatou
Oui, beaucoup de courage, Chatou !
SupprimerMerci de la visite !
De mon côté, merci pour les voyages chez vous !